En quittant l’ashram, et en reprenant la route, nous savions que celle qui nous attendait serait … longue.
Et effectivement, après presque 4000km de ligne droite, on confirme : c’est un peu long. Mais, étonnamment, on ne s’est jamais ennuyés, et je crois même qu’on ne s’est jamais autant marré.
Ces kilomètres dans le désert auront fini de nous rapprocher, au cas où les 8000 qu’on a déjà fait n’aient pas suffi. GENRE.  

Nous avions pour seul impératif que d’arrêter de rouler avant la nuit. Car une fois le soleil couché, les animaux sont de sortis, et ils ont un peu de mal à faire la différence entre les champs et la route. Dommage pour eux, ils se retrouvent tout raplapla sur le bas côté. Alors pour éviter de se retrouver avec Skippy en impression 3D sur le pare choc, on a jamais roulé après 17h.
Nos journées commençaient vers 7h le matin, parfois 8h, on se prenait le petit dèj tranquilles, et nous prenions la route vers 10h (oui j’ai dit tranquille).
On se trouvait un endroit pour se poser et passer la nuit vers 14h, et on passait la fin de journée peinards, à marcher un peu aux alentours, à trouver un arbre sur lequel accrocher notre douche, ou encore à faire un feu (ouais ok on a allumé un feu une seule fois, mais gros délire j’avais trouvé des chamallows dans une station service, du coup on s’est pété la panse de gimauve grillée. Trop de folie pour nous).

A chaque arrêt pour la nuit (ou presque), nous avions des voisins qui nous rejoignaient au fur et à mesure que la journée se terminait. Très rarement des backpackers, étonnamment, le plus souvent des couples de sexagénaires avec des 4x4 de fou, tractant des caravanes tout aussi incroyables. Les mecs sont sacrément équipés. Du coup, sur les aires et autres points d’arrêts, règne une ambiance quasi familiale. On se salue, on échange quelques mots, on demande « tu vas au nord ou au sud ? », car forcément, aucune autre possibilité via cet itinéraire. On suit certaines personnes pendant des centaines de kilomètres, on se retrouve sur les mêmes aires pour dormir, on se klaxonne on doublant la même voiture pour le 5ème jour de suite.
On croise tellement peu de voitures sur la route en face que quand c’est le cas, on se salue, comme si on se connaissait. Certains font juste un geste discret, et puis certains ont l’air fou de joie ils font des vrais coucous. Ceux là n’ont pas du voir d’autres voitures de la journée. C'est tellement rare de voir d'autres voitures en roulant, que ça se célèbre.
On croise aussi parfois des road trains, ces impressionnants convois composé d'un camion "standard" en guise voiture de tête, auquel ils ont accroché 3 voire 4 remorques. Tant que ça roule Michel, ajoute des wagons ! Ils sont impressionnants, ils roulent vite, on voit qu'ils l'ont l'habitude. Ils n'hésitent pas à dépasser, même s'ils leur faut plusieurs centaines de mètres pour réaliser la manoeuvre. Le souffle dégagé est puissant, plus d'une fois j'ai cru que ça allait nous arracher les essuie glace. Ouffff, il est passé. 

Le gros point négatif d’une telle expédition, c’est qu’en 3800km, il n’y a que 5 stations services. Alors, petit à petit, au fil des kilomètres, le prix du litres de diesel augmente, gentiment mais surement. D’un tarif à 1$/litre dans les grandes villes, et sur toute la côte Est d’ailleurs, on est monté à 1.40, 1.60, et puis boum un beau jour, 2$. Dit comme ça, ça n’a l’air de (presque) pas grand chose. Mais sur un plein de 60 litres, et ben ça double le budget, et sur presque 4000km, ça fait mal ! D’un autre côté, ils auraient même pu mettre le litre à 3 ou 4$, paumé comme c’est paumé, les gens sont obligés de faire le plein ici sinon c’est panne sèche 3 km plus loin.
Niveau ravitaillement en nourriture aussi, bonjour la galère. Nous avions fait des courses en quittant l’ashram, avec lesquelles nous pouvions tenir une semaine. On s’était dit, quand même, une semaine, on est large, d’ici là on aura recroisé un autre supermarché. Et bien …. Pas du tout. Supermarché est un mot qui arrête d’exister en rentrant sur cet itinéraire. Dans le seul « village » indiqué sur la carte (comprendre un petit blèd de 500 âmes, ce qui est ENORME), sur cette portion de route, Coober Pedy, il n’y avait qu’une supérette version Playmobile, où tout était hors de prix. Encore une fois, pas le choix, c’est ça ou des sandwichs au sable.
Un jour aussi on a traversé ce qui devait être un « village », nommé Marla, il s’est avéré que c’était juste une station service/ poste / pharmacie / supérette, posé en bordure de route. Genre c’est le centre ville de nulle part. Le kilo de tomate était à 12$, pour ce prix là my god, elles ont intérêt d’être piquées au sirop de glucose et d’être délicieuses (grosse blague elles étaient dégueu). Et le paquet de Tim Tam, généralement à 2$, était ici à 7.99$ !! ok donc déjà les Tim Tam vous les gardez bien au chaud sur vos étagères, à ce prix là je fais mes courses pour 3 jours.

Une nuit, à une aire de repos, on s’est tapé un groupe de hippies qui s’est installé collé à l’arrière du van. Plus près je crois qu’ils pionçaient sur notre toit. Les comiques ont décidé de sortir une boule à facette, des petits spots rotatifs rouge et vert, tout ça pour se préparer le diner de nuit. Original, pourquoi pas. Nous on était couchés, et d’un coup on entend un mec qui hurle au loin. Et puis, ah, tiens ça se rapproche. Ah, ça se rapproche tellement que 10 secondes plus tard on avait le gueulard sous nos fenêtres. Quelqu’un tape sur la carrosserie du van, au niveau de là où je dors. Après avoir fait des exercices de relaxation pour faire redescendre mon rythme cardiaque, je me décide à guincher par la lunette arrière. Le gueulard en question, qui avait visiblement pris le van pour un djumbé, ressemblait, dans le noir du moins, à Mowglie, du livre de la jungle. Petit, maigrichon, cheveux sombre, un peu long, en bataille. Et derrière lui, une femme, vraisemblablement la sienne, bien moins bruyante que lui, qui ressemblait davantage à Balou. Forcément le mec il a vu de la lumière et la boule à facette, de loin, il s’est dit « Y’a une fête, viens Balou on s’incruste ! ». Et tant qu’à faire en bonus, on va voir si on peut taxer des trucs. Donc pendant une heure on a suivi de près l’histoire qui se déroulait sous nos fenêtres.  Des clopes, ok tiens, à manger, ok, bon maintenant je veux une tente, ah oui c’est ok ? cool. Donne moi une couverture aussi alors. Et une autre pour Balou quand même.
Bref, on a tout vu comme dans une bonne comédie.
J’avais eu la lumineuse idée d’installer du film noir micro perforé sur la lunette arrière il y a quelques mois, de manière à ce qu’on ne voit pas de l’extérieur ce qu’il y a dedans. Mais par contre depuis l’intérieur, on voit très bien dehors. Hyper pratique pour guincher, un bon truc de commère.
On a donc suivi, aux premières loges, comment le groupe de hippie à réussi à calmer le gars, un aborigène, comme souvent, très très bourré (ou drogué, car ils sniffent de la colle quand on leur refuse l’achat d’alcool). Ce n’est pas du tout cliché ou réducteur, ici c’est tout à fait courant et habituel de croiser ce genre de personnage. Dans le mini village de Coober Peddy que l’on a traversé, on avait prévu de passer la demie journée, car c’est un village en partie troglodyte. Entouré de tas de gravas, dus à l’exploitation des sols (pour l’Opal, la pierre précieuse bleue), le village est réellement perdu au milieu de tout, ou plutôt de rien. Ca s’annonçait bien, sur le papier du moins. En vrai c’est beaucoup moins carte postale, tout est poussiéreux, délabré, sale. Pas franchement accueillant. Des chiens sauvages de partout, des bouteilles d’alcool vides tous les 2 mètres, des aborigènes déjà saouls à 10h du matin dans les rues. Nous devions faire un arrêt à la supérette, je dis à Adrien que je l’attends dans la voiture, hors de question de laisser le van en stationnement avec toutes nos affaires, dans un tel climat. A peine a t il mis un pied dehors de l’habitacle qu’un homme lui saute dessus en baragouinant un truc, qui voulait dire « achète moi de l’alcool ». Non merci monsieur laissez moi partir.
Et quand tu dis non à un aborigène, il peut devenir virulent, étant donné qu’il n’est pas dans son état normal. Là où nous habitions à Cairns la dame nous avait raconté qu’elle avait préféré donné son paquet de cigarette en entier un soir, à un mec chelou qui aurait pu lui causer des problèmes si elle avait refusé. Bref dans cette ambiance festive, Adrien part faire les courses, et moi j’attends à double tour enfermée dans le van. Je guette son retour, en cas de problème je passe la première et je roule sur tout ce qui bouge. Heureusement nous n’avons pas eu à en arriver là, et nous reprenons la route. Finalement pas de visite de Coober Peddy, on a juste jeté un œil à l’église troglodyte. En fait les mecs ils ont creusé un trou dans la roche, ils ont mis 3 spots et 10 chaises de jardins, un crucifix et hop, une église ! Nul quoi.
Là bas, la police monte la garde devant le bottle shops et la station service vend une essence spéciale dénuée des substances toxiques qui font « planer », pour, je cite : « empêcher les Aborigènes de se défoncer avec ».

Après cet arrêt dans ce cadre idyllique, et quelques courses dans les placards, nous reprenons la route, et nous préparons à passer la frontière entre le South Australia et le North Australia. Ce qu’on n’avait pas bien compris, c’est les panneaux avec des fruits et légumes barrés sur les bords de la route, tous les 10 km pendant les 400km qui précèdent la frontière. Et une fois à la frontière, là où d’habitude il y a simplement un panneau avec le nom du nouvel état, comme chez nous quand on passe d’un département à l’autre, cette fois ci se dresse un poste de douane de compétition, arrêt obligatoire, agent des deux côtés de la voie et tout et tout. Et en fait, il s’agit de la douane des fruits et légumes. Ah c’était donc ça les panneaux ! ils vérifient que tu n’amènes pas dans le nouvel Etat les produits venant de l’Etat voisin, soit disant pour éviter la prolifération des maladies agricoles. Ok, donc dans l’histoire, on s’est fait taxé 1.5kg de pomme et 4 tomates à 12$/kg, j’ai failli faire un malaise quand la nana nous les a pris! On le saura à l’avenir, quand on voit des oignons barrés sur les panneaux au bord de la route, on s’arrête, on les planques quelques part dans nos placards, et on passe la frontières sourire aux lèvres.

Sur la route, les reliefs sont quasi inexistants, ou bien alors à l’envers, inversés. C’est à dire qu’au lieu d’avoir un petit mont, y’a des cratères. Genre une montagne mais vu de dedans. Si il n’y avait pas autant de végétation aride qui recouvrait le sol, on verrait alors un décor complètement lunaire, rempli de cratères.

Nos kilomètres auront été suivis de près par les animaux. Dans le meilleur des cas, certaines portions de route sont entièrement clôturées, évitant ainsi que les bêtes ne s’aventurent sur la route. On en a quand même vu qui avaient dû se taper une partie de Prison Break, et qui étaient passées de l’autre côté, c’est à dire côté route. Dans tous les autres cas, la route est en fait un immense open space, comme au bureau, pas de cloison, quedalle, et tout le monde vit bien librement là dedans, entre les « champs » (peut on vraiment appelé ça des champs, je ne pense pas, alors disons simplement les terres), et le bitume, où la circulation est loin d’être intense. Ça donne quelques situations sympathiques, où nous devons klaxonner pour que la bande de cacatoes qui squattent l’asphalte d’envolent, et se décident enfin à nous laisser passer, où nous pilons pour ne pas s’envoyer des vaches dans le pare brise, sans compter le nombre d’émeus qui se baladaient tranquilou sans pression sur le bas côté, les dromadaires en troupeau au loin, ainsi que les kangourous, eux malheureusement, plus souvent comme « figés » sur les lignes droites qu’en train de sauter gaiement. On a aussi vu pas mal de vaches, et de moutons. Les pauvres doivent avoir un régime alimentaire bien particulier. Surtout situés là où ils sont, les mecs les ont lâché là, et reviendront les chercher, un jour peut être, en hélico pour les retrouver dans cette immensité. En attendant c’est la fête à la maison, tout le monde court partout.
Un jour on a vu une vache visiblement pas très en forme depuis un petit moment, elle était toute gonflée par les gaz de décomposition, de loin on aurait dit une petite montgolfière Milka, genre petites pattes aux extrémités de ce ballon bien rond. C’était un peu dégueu mais finalement un peu rigolo aussi. On avait jamais vu une vache avec un tel aspect. Paix à son âme.

Par moment la route prenait vraiment des allures de far west, avec des squelettes un peu partout sur les côtés, des boules de végétaux secs que le vent entrainaient dans la même direction, et le sable, de plus en plus présent au fil des jours, de plus en plus rouge. Lorsqu’il pleut, je vous raconte pas la galère de cette colle rouge qui s’agrippe aux chaussures, qui te crépit l’arrière des jambes de dizaines de point rouge façon art aborigène quand tu marches, et qui dégueulasse toute la bagnole. Le genre de gadoue qui en séchant redevient incroyablement volatile, de manière à bien se nicher partout.

Un soir, en début d’itinéraire, donc normalement encore -un peu- civilisé, on se félicite d’avoir trouvé un pur endroit pour passer la nuit, hyper joli, en bordure d’un petit cours d’eau, au pied d’une falaise. On avait quitté la route quelques kilomètres en amont pour s’enfoncer entre les arbres, avant de découvrir ce superbe endroit. On était seuls, le pied. On profite de notre soirée, on observe un opossum à côté de la porte du van, on se félicite d’avoir trouvé cet endroit. Et puis, le lendemain matin, au moment de partir, eh bien…. Pas possible de partir. Encore notre batterie qui faisait des siennes. On branche notre batterie de secours avec les pinces, pas mieux. Ok, donc on a un petit soucis. On décide donc de rejoindre la route à pieds, 20 minutes de marche dans le sable plus tard, nous y voilà. Et là, on attend. On attend encore. J’ai mis une photo dans l’album « Sur la route du désert », où l’on peut voir Adrien assis sur la glissière de sécurité. On aura attendu ainsi plus d’une heure de voir une voiture passée, qui, heureusement, avait des pinces, et est venue nous dépanner. En deux minutes nous voilà partis !


Mais quand même, malgré le fait que ce soit galère pour acheter à manger, que ce soit cher pour l’essence, qu’on doive accrocher la douche aux arbres et faire le plein dans des bidons pour l’eau dès que l’on trouve un endroit avec de l’eau potable (denrée rare !), qu’est-ce qu’on a aimé cette partie de route.
Qu’est-ce qu’on a aimé se retrouver couper de tout, sans réseau mobile, sans électricité, limite en autarcie, perdus quelque part sur cette immense ligne droite.
Quel régale le soir venu, lorsque nous étions seuls, d’apprécier le silence épais et profond de l’endroit. Le vrai silence, comme on ne l’a jamais entendu avant, de toute notre vie. Quel plaisir de mettre le réveil pour observer les levés de soleil, toujours grandioses, et de se précipiter en dehors du van, parfois à grimper sur les dunes de sable pour observer le moment de son coucher. Et la voute céleste au dessus de nos têtes, avec plus d’étoiles que dans tous les ciels de France que nous avons observer jusque là. La voie lactée, parfaitement visible, et rien qui ne gâche le nombre incroyable de points lumineux sur ce noir profond de la nuit.
En route, combien de fois avons nous été ébahis de voir les couleurs d’une rare intensité qui nous entouraient. Le rouge profond de la terre, le jaune de l’herbe grillée par le soleil, le marron des arbres qui jadis s’étiraient vers le ciel avec de belles branches, et qui sont aujourd’hui de simple troncs secs, et le vert des espèces les plus robustes, qui se dressent sur le fond de cette toile bleue ciel, immense, infinie. Des tableaux si riches que nous nous arrêtions parfois juste pour prendre le temps de bien les observer, et être sûrs de ne rien rater de ce merveilleux voyage au centre du pays.

Dans le désert finalement, il n’y a rien à voir, mais pourtant tant à regarder.
Nous avons adoré cette partie de notre road trip, qui n’était initialement pas réellement prévue, et qui est devenue l’un des gros temps fort de notre séjour en Australie. A refaire 10 fois, 100 fois, les yeux fermés, sans hésitation.
Ce pays est décidément plein de belles surprises.